lundi 29 décembre 2014

Autorisation de pratiquer la course à pied de Franck Courtès



Directement inspiré par Autoportrait de l’auteur en coureur de fond de Haruki Murakami, le titre qu’a choisi Franck Courtès pour son premier ouvrage est un clin d’œil à leur passion commune, vécue comme un exercice initiatique voire rédempteur.

C’est donc tout naturellement à la course à pied et aux motivations intimes qui permettent d'endurer un tel effort qu’est consacrée la première nouvelle de ce recueil qui en compte 19.

19 nuances autour des sentiments humains, servies par une écriture sobre mais juste. Les joies de l'enfance, l'amitié, la volonté d'être de bons parents, le couple, nouveau ou usé, les premières amours... Franck Courtès analyse les ressorts qui nous anime (pas tous grandioses mais touchants dans leur aspect ordinaire car sincères) sans oublier les loupés, les résignations voire les lâchetés dont certaines ont parfois des conséquences dramatiques.

Dans "Chroniques de mon restaurant japonais favori", déclinées de manière ternaire, il adopte la posture de l'observateur (le photographe en lui n'est jamais bien loin) et aborde avec pudeur mais pourtant sans détour, la question du regard posé sur le handicap.

Dans ce recueil de nouvelles, Franck Courtès esquisse aussi le personnage principal de son futur roman (Toute ressemblance avec le père) en accordant une place récurrente à un certain Romain, photographe de son état...
Le monde de la photographie peut se désoler, le monde de la littérature se réjouir, un auteur est né et il a des choses à nous dire !

mardi 23 décembre 2014

L'amour et les forêts d'Eric Reinhardt

Merci à V. d'avoir proposé cette pépite dans le système
de prêt et de m'en avoir conseillé la lecture.
Il est rare qu’un livre me fascine tout en me laissant un profond sentiment de malaise. C’est pourtant ce que j’ai ressenti à la lecture de  L’amour et les forêts , mon premier Reinhardt. Je ne connaissais pas cet auteur et j’ai tout de suite apprécié cette belle écriture,  sophistiquée, ciselée, au service d’une réflexion fine et profonde, le tout avec un procédé narratif bien dosé où l’écrivain se met en scène lui-même mais juste ce qu’il faut. L’héroïne reste bien Bénédicte Ombredanne, cette jeune femme cultivée, sensible, autrefois pétillante mais éteinte depuis qu’elle a épousé un homme qui s’emploie à l’humilier constamment. Ce livre m’a tiraillée dans tous les sens. J’ai été exaspérée que Bénédicte ne se révolte pas plus devant les vexations quotidiennes subies, j’ai presque eu la nausée à la lecture de la logorrhée d’insultes et de reproches qui s’abat sur elle après son escapade, j’ai savouré avec elle toutes les embellies qu’elle a réussi à obtenir de haute lutte, même temporairement (notamment un magnifique passage sur le plaisir de l’écriture), et puis je l’ai admirée, pas pour ses choix de vie, mais pour sa soif d’absolu, d’intensité, sa volonté de percevoir le beau et le sensible pour donner chaque jour un sens à sa vie. 
Une véritable héroïne romanesque égarée dans un monde contemporain trop rationnel et abrupt pour elle.

Toute ressemblance avec le père de Franck Courtès

Je dois admettre qu'il est assez stupide d'écarter un livre en fonction de son titre mais c'est ainsi, le titre est pour moi comme une promesse. Je suis donc clairement passée à côté du premier ouvrage de Franck Courtès dont le titre évoquait la course à pied...très peu pour moi, merci. Depuis, j'ai appris qu'il s'agissait d'un recueil de nouvelles et il figure en bonne place dans ma pile à lire (que je gère certes avec la plus grande anarchie).
Par contre, j'ai bien fait de persister (second principe de lectrice) dans la lecture de "Toute ressemblance avec le père" car je dois bien l’avouer, le début du roman ne m’avait pas vraiment convaincue. Je ne voyais pas bien où Franck Courtès voulait nous amener, à suivre son héros, Mathis, un photographe séducteur, célibataire et immature.  A tourner en rond en fait, comme Mathis, marqué par la disparition brutale de son père alors qu’il est adolescent, incapable de construire sa vie d’adulte à l’aune d’une figure paternelle entièrement fantasmée par l’ensemble de la famille, à commencer par Mireille, l’épouse trompée qui s’accroche au leurre d’un bonheur conjugal passé, puis Vinciane, la fille, archéologue parcourant la planète, quel que soit le danger, comme un défi permanent pour rester digne de son père et enfin lui-même qui collectionne les conquêtes comme son père avant lui.
Pourtant Mathis sait qu’il n’est plus possible de surnager ainsi dans cette nostalgie paralysante. Pour s’affranchir de la tutelle fantomatique, il doit régler le solde du passé, retrouver celui qui l’a privé de son père.
Une partie du roman se déroule en province, dans la Marne, territoire bien connu de l’auteur et dont il brosse d’ailleurs un portrait sociologique, comment dire… sans détours. Mais c’est avec une véritable tendresse que Franck Courtès nous amène à percevoir, davantage qu’il ne décrit d’ailleurs, cette nature composite faite de champs et de vignes, de forêts et de pièces d’eau, sillonné par le « ruban d’argent » de son cours d’eau éponyme. On y découvre quelques « spécimens locaux » (j’emploie l’expression car il les a caricaturés à dessein) finalement attachants…
Progressivement, Mathis qui m’agaçait tant au début du livre a gagné mon empathie (le passage où il décrit l’amour que sa sœur lui porte malgré ses défauts est particulièrement touchant) et c’est avec respect, encouragement (mais tu ne le vois pas que le bonheur est à ta portée ?) puis soulagement (voilà, il l’a enfin vue !) que je l’ai accompagné dans son parcours vers la paternité et le bonheur qui en découle.

L'armée furieuse de Fred Vargas

Comment faire la chronique d'un roman policier alors que l'on se penche habituellement très peu sur le genre ?
1) remercier la personne qui vous l'a prêté (merci donc à C.) et reconnaître que vous n'avez pas boudé votre plaisir, consacrant même une pleine après-midi à le terminer. Au passage, savourer la satisfaction d'avoir découvert qui était le coupable avant sa révélation. On a sa petite fierté...
2) veiller à placer votre curseur de résumé de l'intrigue assez bas car vous connaissez votre tendance à trop en dire.
3) entrer sur la pointe des pieds sachant que vous avez affaire à une auteure qui est reconnue, appréciée et dont les personnages sont récurrents donc fort familiers pour les inconditionnels.
4) vous lancer quand même malgré l'étroitesse du chemin que vous vous autorisez. Trêve de pré-requis et d'appréhensions, vous devez bien ce petit effort au genre que vous avez sciemment boudé.
Les personnages pourraient se suffire à eux-mêmes, sans histoire pour les animer, tant ils sont jubilatoires. On sent la construction progressive aboutissant à un résultat très travaillé (limite un peu trop à mon goût, j'aime assez quand un auteur m'accorde une part de gris, de flou sur un personnage, me permettant d'en ajuster le contour). Il n'empêche, c'est quand même savoureux :
Le commissaire Adamsberg, dont le charisme est tel qu'il peut obtenir à peu près tout de son équipe, malgré (ou grâce à ?) des méthodes d'investigation peu conventionnelles.
Son adjoint, le commandant Danglard, homme érudit, devant sans cesse gérer ses penchants pour la bouteille et son incapacité à dire non à Adamsberg ce qui l'entraine dans des situations périlleuses.
Veyrenc, Béarnais comme Adamsberg, en concurrence avec Danglard sur le plan de la culture, s'exprime en versifiant.
Le lieutenant Violette Retancourt, aussi colossale qu'efficace, élément infaillible de l'équipe.
C'est une fort étrange histoire qui va retenir le commissaire Adamsberg en Normandie, à Ordebec. Selon la vision de Lina Vendermot, l'Armée Furieuse, une armée fantomatique et vengeresse remontant à une légende du Moyen Age s'apprêterait à tuer ceux qu'elle a désignés comme "saisis". L'un d'entre eux, un individu brutal et détesté de tous a disparu depuis plusieurs jours mais le capitaine de gendarmerie ne semble pas accorder d'importance à cette peur ancestrale. Désavoué par les meurtres et accidents qui vont suivre, le fier capitaine doit passer le relais à Adamsberg qui accepte cette enquête troublante, occasion inespérée de mettre au vert un encombrant protégé, transfuge d'une autre enquête.
En effet, maitre de son art, Fred Vargas réussit à tisser deux affaires ensemble (je n'y ai cependant pas trouvé un intérêt comparable). La galerie de portraits des personnages du cru est assez remarquable entre la fratrie Vendermot, à la fois rejetée et inquiétante, fragile et géniale, le capitaine Emeri qui se drape dans le prestige de son ancêtre, maréchal d'Empire, et la vieille Léone qui comprend tout...
Servi par un univers onirique des plus réussis, ce "rompol" (acronyme cher à Fred Vargas) se lit bien sûr pour son intrigue mais pas seulement, loin s'en faut !

Dimanches d'août de Patrick Modiano

Nice, ses palmiers, son ciel azur, sa célèbre promenade et dans ce décor où la pluie semble incongrue, un couple un peu désoeuvré. Ils errent de jardins publics en cafés pour retarder le moment de rejoindre leur chambre sordide dans une pension meublée. Flottant dans cette ville sans vraiment s’y ancrer, Jean et Sylvia semblent en suspens, dans l’attente ou la fuite. Mais pourquoi Sylvia arbore-t-elle à son cou un diamant de grande valeur ?

L’histoire est racontée par Jean, son compagnon (ou plutôt son complice car on comprend vite que ces deux-là ont quelque chose à cacher), 7 ans plus tard. Il est seul désormais. Une connaissance ancienne, un certain Frédéric de Villecourt, dont on comprend qu’il a eu autrefois nettement plus de superbe, apporte quelques éclaircissements. La rencontre entre Jean et Sylvia s’est produite sur les bords de Marne alors que le narrateur, photographe, préparait un album sur les plages fluviales. Sylvia se présentait alors comme la femme de Frédéric. L’histoire se dévoile très progressivement et l’on comprend comment la trajectoire du mystérieux couple Neal va dévier celle de Jean et surtout de Sylvia. Les dimanches (heureux) d’août n’étaient pas niçois en fait.

lundi 22 décembre 2014

Charlotte de David Foenkinos


Elle est son obsession depuis des années. Il a retracé sa vie patiemment, parcourant les lieux qu'elle a occupés, enquêtant auprès des descendants de ceux qui l'ont connue mais cette relation fusionnelle au personnage a rendu l'écriture impossible. Seul un parti-pris formel assez radical a pu sauver l'auteur de cette "oppression" paralysante : une phrase correspond à une ligne ("pour respirer" nous avoue-t-il) donnant ainsi au roman la silhouette d'un poème. Poème, hommage à Charlotte Salomon, artiste peintre, morte à Auschwitz en 1943 à l'âge de 26 ans. De l'enfance jusqu'à son arrestation en France et l'issue fatale qui semble d'autant plus inéluctable qu'elle est alors enceinte, nous suivons le parcours courageux de cette jeune femme : sa résilience pour surmonter les suicides familiaux qui l'entourent et notamment celui de sa mère, sa volonté pour s'affirmer en tant qu'artiste alors que les nazis interdisent aux juifs, l' accès, entre autres, à la culture, son envie de vivre intensément son histoire d'amour avec Alfred, le professeur de chant.
Cette histoire forte nous empoigne et ce, d'autant plus que l'auteur  associe le lecteur à sa  quête de Charlotte, intégrant dans le roman et sans déroger à la forme choisie, des éléments de ses recherches. Un livre qui donne envie de découvrir l'œuvre de cette artiste, œuvre dont les conditions de création sont largement partagées dans le roman ("Une création au bord du précipice") : plusieurs dessins et croquis d'inspiration autobiographique, intégrant textes et musique et réunis sous le titre, Vie ? ou Théâtre ?, une œuvre que Charlotte parvient à protéger et à transmettre comme un défi à son destin. Défi ou ultime résilience ?

dimanche 21 décembre 2014

Dans les rapides de Maylis de Kérangal

Elles sont trois (c’est l’aviron choisi plus par défaut que par envie, au lycée, qui les a réunies), trois inséparables copines. Elles ont 15 ans et vivent au Havre, cette ville reconstruite qui semble se chercher et vouloir se (re)définir, tout comme elles. L’ennui en province qui s’étire…Elles traînent entre la maison, le lycée, le café. Et soudain, par hasard, l’album Parallel lines de Blondie fait irruption dans leurs vies. Debby Harry, égérie platine du groupe avec qui on la confond souvent, sera désormais leur modèle et rock sera leur attitude. Une musique comme une revendication, comme une nécessité : « rock rock rock. Le mot est gros comme un poing et rond comme un caillou ». Fascinées par cette fille qui a su s’imposer dans cet univers masculin, les 3 ados analysent le moindre détail des pochettes, discutent, comparent, cherchent, se renseignent du côté des disquaires (nous sommes en 1978) et des garçons («puisque le rock passe par les garçons»).
Un livre court, organisé en 11 chapitres, reprenant chacun un titre du fameux Parallel lines, une écriture en forme de flots, des juxtapositions pertinentes et énergiques qui donnent bien l’impression d’être « dans les rapides »* : un style davantage qu’une histoire.
* en cela, très différent de la lenteur de Naissance d’un pont, du même auteur.
Merci à F. pour le prêt de l'album "Plastic Letters"


Pietra viva de Léonor de Récondo

Printemps 1505, Michelangelo part pour Carrare. Il ne peut laisser à personne le soin de choisir les marbres destinés au tombeau du pape Jules II. La magnifique pietà a déjà établi la renommée de celui que le Saint Père qualifie de « génie ». Perturbé par la mort du moine Andréa à la beauté fascinante, le maître se replie encore plus sur lui-même. Pourtant, il comprend le difficile et périlleux labeur des carriers qui extraient les blocs de la montagne. Tourmenté, orgueilleux, le sculpteur se lie progressivement avec Cavallino dont la naïveté l’émeut et avec Michele, orphelin de mère comme lui. Des souvenirs enfouis et refoulés depuis l’enfance émergent, bouleversant sa manière de concevoir son art et son rapport à la « pietra viva ».
Un livre au rythme lent mais pas ennuyeux servi par une écriture souvent poétique.

La cité sans aiguilles de Martin Torres

Ils ont pris la route chacun de leur côté mais finiront par se rejoindre. Pour quelle destination ? La cité sans aiguilles. Qui sont-ils ? L’Horloger, le Guerrier, l’Ecrivain. La majuscule, initiale de chaque mot, sera suffisante, tout au long du récit, pour leur conférer un statut de personnages sans que l’auteur ne nous concède d’autres éléments : ni âge, ni nom, ni description physique. Evoluant dans une contrée indéterminée, dans une époque non définie, pour une raison qui reste longtemps floue, nos personnages sont pourtant bien résolus à atteindre cette lointaine cité où le Roi blanc, devenu fou, a interdit toute mesure du temps.
Ce récit initiatique se rapprochant dans sa forme d'un conte philosophique, permet à Marc Torres de développer les vertus de la patience dans la transmission du savoir. Mais, en contrepoint, ce roman souligne combien la sagesse des hommes est parfois compromise par le pouvoir de l'amour fou...

L'invité du soir de Fiona Mc Farlane

Une maison à l’écart, adossée à la dune quelque part sur la côte australienne. Sa propriétaire, Ruth Field, 75 ans, un peu isolée elle aussi depuis la mort de son mari et l’éloignement de ses enfants devenus adultes. Ruth semble s’être résignée à la monotonie des jours, à la lenteur du temps. Mais perd-elle progressivement pied avec la réalité ? La vieille dame est persuadée qu’un tigre s’est invité la nuit dans son salon. Une aide-ménagère providentielle vient bousculer le quotidien de la fragile Ruth. L’impressionnante Frida s’impose vite comme indispensable. Entre les 2 femmes, une relation complexe se tisse, tantôt bienveillante mais souvent oppressante.
Un livre troublant qui questionne le lecteur sur les fragilités liées à l’âge. Une narration subtile assortie de transitions délicates entre le « réel » et l’irréel (ou le réel d’une femme dont la pensée devient confuse) : l’auteur a su présenter une frontière ténue entre ces deux états, ce qui rend ce livre fort singulier.

Le mystère Sherlock de J-M Erre

Des spécialistes du célèbre détective se retrouvent bloqués dans un chalet suisse à cause d'une avalanche. Ambiance pesante car tous sont en concurrence pour obtenir la chaire d'holmésologie.
Mais alors qu'aucune issue ne semble possible, un meurtre a lieu, un, puis deux, puis trois...Cela vous rappelle quelque chose ?
Dans un style particulièrement drôle et efficace sur le plan de l'intrigue, JM Erre réussit la prouesse de rendre hommage à la fois à Agatha Christie et à Sir Arthur Conan Doyle ! Savoureux !

Les invasions quotidiennes de Mazarine Pingeot

Qu’est-ce qui rend la vie de Joséphine Fayolle si compliquée ? Son ex, culpabilisant, envahissant et hypocondriaque (oui, ça fait beaucoup…) ? Le stress de ne pas être à la hauteur des attentes de son nouveau directeur de collection ? Le peu d’humour de son banquier face à son découvert ? Sa volonté d’être une bonne mère pour ses 2 enfants qu’elle s’efforce de préserver et d’éduquer sans pension ? (que le lecteur masculin se rassure, l’auteur ne verse pas dans la misandrie (oui, j’ai cherché le pendant de misogynie) car si le portrait de l’ex est gratiné, celui de la mère de l’héroïne est peut-être encore plus féroce). Engluée dans un quotidien pesant (illustré par l’épisode rocambolesque du lave-vaisselle), Joséphine doute, gaffe, intellectualise jusqu’à ses SMS mais cherche à avancer sur tous les fronts, en tant que mère, auteur et amoureuse.
Je ne sais pas ce qui rassure le plus : ses loupés (décomplexant) ou ses réussites (alors, c’est possible…)
Un clin d’œil amusant à sa filiation paternelle par le biais d’un labrador, chien présidentiel mais un clin d’œil seulement, pour connaître l’autre histoire, il faut lire Bon petit soldat.
Un parti pris comique (qui fonctionne) où pointent des banderilles plus réflexives.

Comme un léger style à la Jaenada par certaines parenthèses très réussies ou certaines remarques bien senties ( voir p 26).
 
"Tu ne peux pas dire bonjour au père de tes enfants, Charlotte ?" 
C'est comme ça qu'il m'appelle, désormais. Retournant contre moi une confidence que je lui avais faite du temps de l'entente cordiale, quand les amants se racontent leurs petites et grandes humiliations qui les ont construits, et qu'ils n'imaginent pas encore la bombe à retardement qu'ils fabriquent dans cet instant de complicité merveilleuse. 

Eux sur la photo d'Hélène Gestern

C’est parce que son père l’a effacée de la mémoire familiale, a verrouillé tous les souvenirs possibles et que ce secret l’étouffe au sens propre comme au sens figuré, qu’Hélène, 38 ans, veut savoir qui était sa mère, disparue alors qu’elle n’était qu’une petite enfant. Une photographie retrouvée dans les archives familiales, une annonce dans un journal et bientôt une correspondance avec un botaniste suisse établi à Londres qui a reconnu son père sur la photo où figure la mère d’Hélène. Une autre famille où le poids des non-dits a laissé des sillons ravageurs…

Un roman épistolaire avec une intrigue bien dosée (qui nous plonge dans la société du début des années 70, pas encore si libérée que ça) où s’intercalent des descriptions de photos, indices dans l’enquête mais aussi marqueurs du temps qui nous distillent leurs petites bouffées nostalgiques. 

La langue des oiseaux de Claudie Hunzinger

Nul besoin d'être amateur d'ornithologie pour apprécier ce livre à l'histoire originale. Si le chant des oiseaux est bien présent, l'héroïne ayant décidé de se retirer dans une cabane au fond des Vosges et rencontrant donc davantage d' habitants ailés que d'humains, ce n'est pas ce langage-ci qui occupe la place première. Par "langue des oiseaux", il faut comprendre cette langue secrète, considérée comme sacrée, sorte de métalangage à décoder pour découvrir un sens plus profond (on trouvera aisément de meilleures explications en cherchant un peu; j'ai fait comme j'ai pu).
En effet, depuis son abri vosgien, Zsa Zsa, romancière et traductrice est séduite par de très étranges poèmes numériques qui accompagnent (là, il fallait y penser !) la vente de vêtements d'occasion d'une célèbre marque japonaise, le tout, via une plateforme d'enchères en ligne, bien connue également.
Derrière les poèmes et son pseudo, se cache Sayo, japonaise en fuite et réfugiée au Havre.
Autant dire que l'on a un peu de mal à se situer mais est-ce si important, puisque, on le sait, "Le monde est un village". Les deux femmes finissent par se rencontrer et confirmer leur amitié née sur la blogosphère, tout en restant toujours aussi énigmatiques voire inquiétantes l'une pour l'autre. Le reste de la confrontation est donc assez étrange.
Un livre d'une belle profondeur et d'une grande qualité poétique dont je percevrai mieux, je l'espère, "la (sa) langue des oiseaux", après avoir lu d'autres titres du même auteur.

Un secret du docteur Freud de Eliette Abécassis

Il l’a guérie d’un mal-être profond créé par une enfance et une vie conjugale sous le signe de l’abandon. Elle est résolue à le sauver à son tour. Elle est l’héritière d’une famille dont le nom a retenti dans toute l’Europe au XIXème siècle. Il est le fondateur de la psychanalyse, chef de file d’un mouvement qui a révolutionné bon nombre de paradigmes établis. Marie Bonaparte, patiente, disciple et traductrice de Sigmund Freud s’est fixée une mission : protéger le célèbre psychanalyste des Nazis devenus maîtres de l’Autriche depuis l’Anschluss. Comment convaincre cet homme âgé et malade de partir ? Epistolier prolixe, le grand penseur ne s’est-il pas trop livré dans la correspondance passionnée qu’il a entretenue autrefois avec son meilleur ami ? Quel sort l’énigmatique Commissaire aux Affaires juives va-t-il finalement réserver à la famille Freud ?
Sans verser dans un discours trop expert qui pourrait perdre le lecteur, Eliette Abécassis réussit bien sûr à nous plonger dans les dernières années de la vie de Freud mais aussi à nous intéresser à la genèse intellectuelle de la psychanalyse dont Vienne fut le creuset.

6h41 de Jean-Philippe Blondel

Le hasard d'une place laissée libre dans un train bondé et deux anciens amants se retrouvent confinés dans la promiscuité de l'autre sans vouloir avouer qu'ils se sont reconnus. Le temps du trajet de ce 6h41, chacun se lance alors dans un monologue intérieur, retraçant, depuis les 27 années écoulées, son parcours, appréciant ou regrettant son évolution. Et si les stigmates laissés par cette liaison a priori banale avaient en fait orienté leurs vies ? L' introspection de ces personnages, déjà entre deux âges, à l'image de ce train entre deux villes, est touchante d'humanité dans sa justesse : analyse honnête, inventaire des petites résignations ordinaires comme des victoires sur soi et c'est avec délicatesse que Jean-Philippe Blondel leur accorde sa bienveillance, davantage peut-être pour le chemin restant que pour celui déjà accompli.

Souvenir de l'amour Chrysis de Jim Fergus

A l’origine de ce roman, la découverte par l’auteur d’un tableau de 1925, nommé « Orgie » dont le peintre, tombé dans l’oubli est une certaine Chrysis, de son vrai nom, Gabrielle Jungbluth.
Intrigué par cette artiste et son œuvre, Jim Fergus retrace, de façon romancée, son parcours à partir de 1925, date à laquelle elle s’installe à Paris pour y suivre des cours de peinture auprès d’un professeur réputé. Libre, frondeuse, amoureuse de la vie, la jeune femme veut obstinément devenir un peintre accompli. Pour cela, elle plonge au cœur de Montparnasse et de sa vie nocturne, à la rencontre des artistes, des prostituées, explorant tous les plaisirs possibles.
Son chemin finit par croiser celui de Bogart Lambert, dit Bogey. Engagé dans la Légion étrangère en 1916, ce cow boy du Colorado, devenu le mythique « courrier cow boy » (il ne se sépare pas, même au front de son fidèle « crazy horse »), tente de se reconstruire après les traumatismes physiques et mentaux que la guerre lui a laissés.
Les deux jeunes gens vivent rapidement une relation amoureuse passionnée et épanouie.
Mais la vie libre et sensuelle de Chrysis dont l’évolution de son art est le témoin peut-elle longtemps s’accorder aux valeurs plus strictes de son milieu familial ?
Un livre plaisant car il retrace, assez fidèlement, l’ambiance du milieu artistique parisien des années 20 mais j’ai trouvé que l’intrigue manquait un peu de ressort.

La femme au carnet rouge d'Antoine Laurain

Antoine Laurain a le don de nous emmener avec lui dans son intrigue ( J'avais déjà adoré Le chapeau de Mitterrand*). Sans verser dans le fétichisme, il part d'un objet, en l'occurrence un sac à main, et remonte la piste jusqu'à sa mystérieuse propriétaire.
Le "découvreur" du sac abandonné est en fait un sympathique libraire, Laurent, qui n'a pour seuls indices que le contenu du sac, vidé bien sûr de tout élément éponyme. Pourtant, les objets du sac livrent tous quelque chose de l'histoire de cette femme, notamment ce fameux carnet en moleskine rouge qui contient ses pensées.
On suit Laurent dans son parcours d'enquêteur, d'abord simplement préoccupé de restituer ce sac qu'il devine volé puis intrigué et finalement séduit par Laure (oui, c'est ainsi qu'elle s'appelle, comme la promesse d' une résonance entre eux...) dont il devine toute la délicatesse. 
C'est avec beaucoup de sensibilité qu'Antoine Laurain aborde la construction du sentiment amoureux. L'intrigue, bien dosée, modifie progressivement sa focale entre "pourra-t-il lui rendre son sac ?" et "vont-ils s'aimer ?" (ce que l'on espère vivement tant les personnages sont attachants). 
Quand je repense à ce livre, j'ai bien sûr le sentiment d'avoir lu une belle histoire et ça peut paraître incroyable, j'ai immédiatement deux impressions olfactives associées : l'odeur du cuir de ce sac à main (mauve !) et l'odeur poudrée du parfum de cette femme. 
"Une transgression. Un homme ne fouille pas dans le sac d'une femme - même les peuplades les plus reculées devaient elles aussi obéir à cette règle ancestrale. Les maris en pagne n'avaient sûrement pas le droit d'aller chercher une flèche empoisonnée ou une racine à grignoter dans le sac en peau tannée de leur épouse." (p 41)
*Oublié par son propriétaire dans une brasserie parisienne, le célèbre chapeau est récupéré par un individu tout à fait lambda dont la vie est aussitôt bouleversée... Talisman ou placebo ? A nouveau perdu, le couvre-chef passe de tête en tête comme autant de nouvelles qui permettent de revisiter avec nostalgie la France des années 80. Mais qui a dit que le président ne surveillait pas de loin son précieux feutre ?

Déloger l'animal de Véronique Ovaldé

Météore ou uppercut ? J'hésite encore mais le moins que l'on puisse dire, c'est que la lecture de ce livre m'a chavirée. Comme dans "Ce que je sais de Vera Candida" (oui, j'ai commencé mon parcours Ovaldé avec celui-là), j'ai retrouvé avec bonheur l'improbabilité des lieux présentés avec un talent tel que cette géographie fictive devient matière littéraire et source d'émotions. J'ai aimé le côté "boule à facettes" des personnages : la Maman Rose qu'on imagine en princesse, même au bord du caniveau, scintillante avec sa perruque en nylon, inaccessible sur ses hauts talons, fascinante parce qu'insaisissable. Sa fille, Rose, elle aussi ("Pas Rose bis, pas Deuxième Rose, pas Bouton de Rose..."), 15 ans mais ayant l'apparence et les préoccupations d'une enfant de 7, en adoration devant sa mère, passant l'essentiel de son temps sur le toit terrasse, en compagnie de ses lapins (qu'elle mange quand même !), vêtue le plus souvent d'une cape noire avec laquelle elle pense pouvoir voler (et tente de le prouver...). Monsieur Loyal, directeur d'un cirque qui n'en est pas un, père d'adoption selon Rose, dont la bonhomie finit par être inquiétante. Madame Isis, la voisine, chignon acrobatique, tenues chatoyantes, univers de papillons, qui devient la meilleure amie de Rose et sa confidente après la disparition de Maman Rose. Oui, Maman Rose a disparu alors que sa fille était à l'hôpital (non sa cape n'avait pas de supers pouvoirs) et c'est parce qu'elle ne supporte pas la mollesse avec laquelle Monsieur Loyal considère cette disparition , que Rose tente de trouver une réponse dans le passé de sa mère qu'elle reconstitue et invente tout à la fois. L'écriture d'Ovaldé est comme une clé qui nous conduit dans les pensées de cette grande petite fille fantasmant l'histoire de sa mère et la sienne par la même occasion, pour mieux repousser son désespoir. Une écriture avec un savant dosage de candeur, de poésie, de brutalité, de rêve et de préoccupations décalées. Une écriture qui fascine, déconcerte et "uppercut"(e). 

"Je peux penser à lui et il m'apparaît sale et beau et tendre comme quelque chose qui sortirait d'une huche à pain, comme quelque chose qui serait précieux, qu'on aurait déposé dans la sciure pour ne pas le casser. Je pense à Markus M. dorénavant quand je me sens isolée dans un grand froid neigeux, quand j'ai et donne l'impression d'avoir sept ans alors que j'en ai plus du double. J'aime imaginer l'histoire de Markus M. et de ma mère."

Ce que je sais de Vera Candida de Véronique Ovaldé

Dans une île imaginaire que l'on peut situer en Amérique latine, trois générations de femmes sont confrontées à la même destinée : avoir un enfant sans l'avoir désiré et l'élever seule. C'est donc une galerie de famille qui nous est proposée :
Rose (on commence par son histoire) donne le ton. C'est une femme forte, pragmatique. Prostituée dans sa jeunesse, elle choisit de se reconvertir en pêcheuse de poissons volants. Séduite (ou kidnappée ?) par un brigand, Jeronimo qui se révèlera un individu de plus en plus sordide, elle devient mère dans la quarantaine alors qu'elle pensait ne jamais être concernée par la maternité. Violette, la fille, devenue mère à 15 ans de Vera Candida, incapable de l'élever pour cause de retard mental et d'alcoolisme. Vera Candida, recueillie par Rose, est celle sur qui les espoirs reposent. Enceinte à 15 ans, elle décide de quitter Vatapuna, pour rompre avec cette fatalité contre laquelle sa grand-mère  l'avait pourtant mise en garde. Départ pour Lahoméria, la ville du continent où elle met au monde la petite Monica Rose. Un temps hébergée dans un foyer pour mères célibataires puis dans un immeuble communautaire, elle s'efforce de se construire un avenir mais ferme son cœur aux hommes dont il faut décidément se méfier. Elle reste insensible à la cour appuyée que lui réserve le journaliste Itxaga (pseudo Billythekid...), sorte de chevalier servant de la cause des femmes. Plusieurs années s'écoulent avant que Vera Candida se sente digne du bonheur qui lui est proposé. Désormais, Itxaga sera son grand amour, son compagnon et le père de sa fille.
Pourtant, c'est à Vatapuna qu'elle décide de revenir, seule, à l'annonce de sa maladie. Retour aux origines, à l'île-matrice, c'est en fait le topos par lequel commence le roman, 24 ans après le départ de Vera Candida.
Un roman vif qui aborde sans détours, des thèmes difficiles concernant la condition féminine ; une très belle évocation de l'amour maternel en tant que force rédemptrice ; un roman qui  invite, avec bonheur, aux grands écarts entre le caractère terrien de Rose (et pourtant, elle pêche...) et l'incongruité de certaines situations, entre la force qu'il dégage et la nostalgie qui s'y fait une place, le tout dans un décor latino-américain parfaitement assumé (dans sa géographie et son passé)  : quel talent !
Pourquoi ne l'ai-je pas lu plus tôt...

Expo 58 de Jonathan Coe

Que se cachait-il dans les coulisses de l'exposition universelle de Bruxelles en 1958 ? Ce roman de Jonathan Coe (déjà excellent avec son Bienvenue au club) vous propose de le découvrir. Vous y trouverez, mêlées de façon si "britishement" délicate, la grande Histoire (Guerre froide, rivalités, espionnage...) et les tribulations du héros, Thomas Foley, envoyé par son ministère, tenir le pub Britannia du pavillon britannique et échappant ainsi à une vie de couple morose dans la banlieue londonienne. Pour ceux qui ont envie de se plonger dans le charme un peu suranné des années 50...

samedi 20 décembre 2014

Martin Eden de Jack London

L'amour est un puissant moteur. Pour devenir digne de Ruth Morse, jeune femme cultivée issue de la bourgeoisie d'Oakland, Martin Eden, marin de son état, bagarreur et séducteur de filles va chercher à s'élever au-dessus de sa modeste condition qu'il considère comme une glèbe dont il ne pourra s'extraire que par le savoir. Autodidacte acharné et méthodique, doté d'une prodigieuse intelligence, Martin assimile alors des connaissances impressionnantes en même temps qu'il ressent le besoin impérieux d'écrire que ce soit de la poésie, de la prose romanesque voire des essais critiques et philosophiques. Mais éditeurs et magasines boudent ces écrits et Martin parvient difficilement à survivre. Pressé par sa famille et celle de Ruth de mettre ses nouvelles compétences au service d'un emploi rémunérateur, Martin s'arc-boute, convaincu de son talent. Esprit brillant,  le jeune homme dépasse rapidement le niveau de réflexion et les valeurs des milieux bourgeois dont Ruth est si imprégnée. Quelle place Martin peut-il occuper dans cette société qui lui semble désormais si étriquée ?
Ecrit à bord du Snark,  magnifique voilier destiné à faire le tour du monde, Martin Eden est sans conteste le roman le plus autobiographique de Jack London, cet auteur fascinant par sa vie et son œuvre.

Désaccords imparfaits de Jonathan Coe

De son propre aveu, Jonathan Coe ne sait pas « faire court » donc lorsqu’il entreprend de compter ses nouvelles pour les rassembler dans un ouvrage, les doigts d’une seule main suffisent. Voici donc son « best few » sous la forme de trois nouvelles et un article pour les cahiers du cinéma :
Ivy et ses bêtises : le persiflage de l’austère tante Ivy a-t-il convoqué une inquiétante apparition fantomatique ? A Birmingham, est-on déjà en route pour l’Ecosse ?
9ème et 13ème : un pianiste de bar projette ce qu’aurait pu être sa vie s’il avait répondu de façon différente à la jeune femme venue l’accoster. Occasion ratée comme un accord imparfait, voici la nouvelle éponyme du livre qui séduira particulièrement les amateurs de musique.
Version originale : un malentendu sentimental, projeté en VO fait écho à la situation ambiguë dans laquelle s’est fourvoyée (pour la seconde fois quand même…) un compositeur invité à un festival poussif de films d’horreur.
J’emploierai le même adjectif pour qualifier cette nouvelle…
Journal d’une obsession : où l’on apprend que Jonathan Coe aurait pu briguer la chaire d’holmésologie (voir la chronique sur Le mystère Sherlock).
Le very best of était donc à la fin.

Le météorologue d'Olivier Rolin


C’est sans doute parce qu’elle est à la fois authentique et « ordinaire » que cette histoire est bouleversante. Cette histoire qu’Olivier Rolin s’efforce de raconter « scrupuleusement », « sans romancer » est celle d’Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, météorologue dans l’URSS des années 30, pris dans les rets de la terreur « ordinaire » dès 1934 puis dans ceux de la Grande Terreur en 1937. Lors d’une de ses visites en Russie, pays qui attise sa curiosité, son « tropisme », l’auteur a été ému par une série de dessins et d’herbiers, réalisés par Vangengheim entre 1934 et 1937 au cours de sa détention dans le camp des îles Solovki. Emu car ces dessins sont ceux d’un père à sa fille, d’un père qui veut continuer à éduquer son enfant à distance ; ému car celle-ci continuera d’honorer, notamment en éditant les dessins sous forme d’album, la mémoire de celui que la répression stalinienne lui a pris bien trop tôt. Eléonora n’a même pas 4 ans lorsque son père est accusé de « sabotage économique » à grands renforts de faux témoignages et d’une procédure à charge dont on connaît bien aujourd’hui les terribles rouages. Pourtant, le météorologue s’efforce de ne pas désespérer et réaffirme sa foi dans le Parti, multipliant les lettres de protestation. Lui qui, noble de naissance n’a pas voulu émigrer en 1917, lui qui a consacré des heures interminables de travail à la construction d’un service météorologique unifié dont les prévisions bénéficient à une agriculture malmenée par les effets de la collectivisation, lui qui sait guider, à travers les glaces, les expéditions polaires, qui a déjà compris tout l’intérêt que vents et soleil pourraient apporter en matière d’énergie, qui a contribué à la grande aventure des aérostats, pionniers de la conquête de l’espace, bref, lui qui a participé avec passion à cette grande espérance née de la Révolution de 1917, cette « utopie », « en passe de devenir réalité », ne peut se résoudre à se croire complètement abandonné et finalement livré à un sort funeste, au fond d’une forêt, en compagnie de 1110 autres « rastrelian » (fusillés). Cet espoir déçu émeut et interpelle Rolin dans son parcours personnel. Il le reconnaît avec honnêteté. Ancien militant, il appartient à une génération pour qui cet idéal avait un sens. On comprend mieux pourquoi la trajectoire tragique de Vangengheim, comme celles de milliers d'autres victimes (dont plusieurs noms sont rappelés en forme d'hommage) a pu, à ce point, entrer en résonance chez lui.