vendredi 27 février 2015

Excursions dans la zone intérieure de Paul Auster



Après Chroniques d'hiver où Paul Auster s'était lancé dans l'exercice de la biographie sous "l'angle du corps et de la sensation" (pour une fois, je cite la 4ème de couverture), le célèbre écrivain de Brooklyn récidive avec un deuxième opus où il explore la genèse de son paysage mental. 
En poursuivant avec l'emploi du "tu"  là où l'on attendait "je", Paul Auster nous embarque dans l'Amérique des années 50 et 60 : sport (notamment et "furieusement" le base-ball...), cinéma, lectures, contexte politique, campus de Columbia secoué par la guerre au Viet Nam : vous aurez un tableau complet, intelligent, sensible. En prime, un entracte parisien est proposé...
L'ouvrage est enrichi par un album de 107 photos en noir et blanc, légendées par des phrases extraites du livre.

Je ne remercierai jamais assez M. qui m'a recommandé la lecture de Paul Auster : Moon Palace, Le voyage d'Anna Blume, Léviathan, Brooklyn Follies et La nuit de l'oracle sont mes préférés. 
La nuit de l'oracle est notamment remarquable par sa  construction narrative complexe : de multiples procédés de mises en abyme brouillent les limites entre le réel et l'imaginaire,  les histoires s'enchevêtrent et s’imprègnent entre elles par capillarité. L'ensemble interpelle sur de nombreuses questions autour des thèmes de l'inspiration et de la création littéraire. Epoustouflant.
"Austerophile" ?

lundi 23 février 2015

La Mémoire de riz de Jean-Marie Blas de Roblès



Conditions idéales pour apprécier La Mémoire de riz : vieux fauteuil, feu dans l'âtre, ambiance feutrée (en version hivernale ce qui, à mon sens, lui sied davantage). Que l'on ne se méprenne pas, cette recherche de quiétude n'est pas là pour amener le lecteur vers une douce torpeur (toutes ses facultés seront largement sollicitées) mais elle correspond à l'ambiance de contes que nous donne à savourer Jean-Marie Blas de Roblès au travers de ces nouvelles. Savourer, en effet, chaque histoire m'a donné la sensation de déguster une part de gâteau au chocolat fort nourrissant (pour autant, le propos n'est ni doucereux ni sucré...). Richesse incontestable de la langue d'abord, phrases ciselées, érudition maitrisée,  vocabulaire recherché (des mots presque oubliés que l'on découvre ou redécouvre avec plaisir) ; fertilité de l'imaginaire convoqué qui nous éloigne sans conteste d'un quotidien contemporain pour nous plonger dans un merveilleux (pas toujours joyeux) à temporalité universelle. Qu'elles soient contées, entre autres, par une antiquaire tactile, un joueur d'échecs passionné ou un perroquet désabusé, ces 22 nouvelles jouent sur plusieurs gammes : les illusions et les hallucinations apportent la part de fantastique et de mystère (impossible à chaque fois de deviner la chute), le descriptif n'est pas en reste, soutenu par un vocabulaire des plus précis, les préoccupations des personnages interrogent de grandes questions universelles voire philosophiques, les lieux nous transportent d'un continent à l'autre, la temporalité est volontairement brouillée.
Je ne les ai pas toutes appréciées de manière égale (ou pour être honnête, je ne les ai pas forcément toutes comprises comme il se doit...), j'ai trouvé que certaines nouvelles étaient trop sombres mais l'ensemble est, comment dire, relevé, foisonnant, subtil. Mentions spéciales pour la nouvelle éponyme du recueil, une vraie petite merveille et pour la dernière, L'Oncle Félix, nouvelle lumineuse, résolument positive malgré l'adversité (le prénom n'est pas choisi par hasard).
J'aurais dû démarrer ma découverte de Jean-Marie Blas de Roblès avec cet ouvrage (c'est son premier, écrit en 1982). J'aurais ainsi mieux pris mon élan pour apprécier L'Île du Point Némo. Ceci dit, son monumental Là où les tigres sont chez eux trône dans ma PAL...

mercredi 11 février 2015

L'heure du roi de Boris Khazanov

En ces temps hivernaux qui me laissent moins le loisir de lire, je publie cette chronique rédigée au temps chaud...



Pas vraiment le genre « livre pour l’été » (je n’aime pas cette expression et ce postulat commercial), c’est ce qui m’a fait le choisir, petit livre isolé, perdu parmi d’autres aux titres commerciaux et aux couvertures colorées. Je voulais de la pensée au cordeau et je n’ai pas été déçue par ce texte concis et efficace dont on mesure la portée universelle à chaque page. Mais pourquoi ne l'ai-je pas découvert avant ?
1940 : l’irrépressible Wehrmacht se rend maître en quelques heures d’un royaume minuscule (non identifié mais l’éclairante postface nous apprend qu’il s’agit d’un « mixte  du Danemark et des Pays-Bas »). Gouvernement, population sont obligés de se soumettre et on attend la même docilité du vieux roi, Cédric X, chef d’une monarchie désuète mais familière. Urologue de métier (oui, il travaille), le monarque est une figure rassurante, gage de stabilité et de bons sens dans cette période troublée. Pourtant, à l’image de sa jeune cavalerie qui s’est sacrifiée par héroïsme qu’elle savait voué à l’échec, le vieux roi s’apprête à faire un geste insensé, (d’aucuns diront absurde). Absurde ou symbolique ?
Écrit en 1976 par un dissident soviétique et lu sous le manteau, ce récit peut être compris à l’aune d’une autre oppression ou de toute forme de totalitarisme.