mardi 5 avril 2016

L'étourdissement de Joël Egloff

On ne peut pas dire que les touristes s'y bousculent, à vrai dire, on n'en trouve pas dans ce pays mais si l'envie venait au syndicat d'initiative de proposer un parcours découverte pour attirer le chaland, il est certain que celui-ci serait assez atypique. La station d'épuration fait office de station balnéaire et la décharge de parc de loisirs, aucun risque d'attraper un coup de soleil puisque le ciel est gris en permanence, parfois voilé de quelques fumées toxiques.
Pour la carte postale, c'est pas gagné...
Dès les premières lignes, on saisit toute la singularité du propos.  L'auteur ne donne aucun repère, ni géographique, ni temporel pas plus qu'il ne nomme son narrateur. On comprend que c'est un gars bien ordinaire, obligé de vivre dans ce pays malsain et pollué et qui s'en accommode tant bien que mal. Il n'est pas du genre rebelle ou téméraire et chez lui, les intentions restent souvent ce qu'elles sont mais pour autant, il n'est pas lâche non plus, capable d'attention et de solidarité vis-à-vis des autres dans ce monde sans confort, sans tendresse et sans joie. Il semble coincé dans une situation intermédiaire, coincé dans ce pays que d'aucuns voudraient fuir mais dans lequel il a ses attaches, des souvenirs d'enfance heureux même à la décharge, sa grand-mère peu amène mais sa grand-mère tout de même, son copain de travail encore plus solitaire que lui,  ses virées dans la "nature" à la recherche de "trésors".
Personnellement, j'ai un faible pour les personnages intermédiaires car ils me semblent souvent bien plus intéressants à découvrir sous leurs facettes en demi-teintes. On s'y attache à ce personnage sans nom et même si on ne le sent pas complètement désespéré,  on aimerait l'aider à avoir un autre horizon que son travail à l'abattoir qui l'étourdit de fatigue, fatigue à laquelle s'ajoute le harcèlement d'un chefaillon désaxé. 
La grande réussite de ce livre réside dans le ton de l'écriture. L'auteur a réussi un subtil mélange de douceur, de poésie et d'humour sur une trame qui emprunte des caractéristiques au style absurde. L'ensemble fonctionne et loin de donner un livre déprimant, c'est bien l'humain dans ce qu'il a d’ordinaire et de sensible, de drôle aussi qui émerge et domine dans toute cette grisaille. 

2 commentaires:

  1. Tu rattrape le temps perdu, on dirait !
    Une jolie lecture tout en douceur, on dirait...

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    1. C'est vrai que j'avais pris du retard avec le livre précédent. Oui, une jolie lecture que le libraire m'avait conseillée car l'auteur venait dans ma librairie (et j'ai loupé la date !)

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