dimanche 30 juillet 2017

La tresse de Laetitia Colombani

J'ai voulu tresser en même temps que tout le monde.
J'ai donc lu les histoires entrecroisées de Smirta, Giulia et Sarah.
Trois femmes sur trois continents,
Trois femmes d'âges différents, dans des situations diverses,
Qui n'ont a priori rien en commun.
Mais que ce soit :
En Inde,
En Sicile,
Au Canada,
Chacune se bat.
Pour une vie meilleure,
Pour sauver l'entreprise familiale,
Pour guérir.
Trois histoires émouvantes,
Présentées de manière efficace,
Un peu trop, selon moi.

Des portraits dessinés à grands traits, qui m'ont donné l'impression de ranger les personnages dans une catégorie bien définie avec des caractéristiques précises.
Une contrainte sans doute imposée par le format relativement court du livre.

Parmi ces trois portraits, c'est l'histoire de Giulia que j'ai trouvé la plus réussie sur le plan littéraire. Pourtant ce n'est pas la plus extrême. Elle peut paraître moins émouvante que celle de Smirta qui lutte contre d'épouvantables conditions de vie pour sa fille et elle en tant qu'Intouchables ou celle de Sarah qui lutte contre la maladie et la discrimination que celle-ci engendre. L'histoire de Giulia est en quelque sorte intermédiaire, élément de liaison de toutes les autres. Elle rappelle ce thème de la chevelure et permet de découvrir la tradition de la cascatura en Sicile. 

Un autre élément de liaison que j'ai apprécié parce qu'il permet de nuancer l'approche directe et efficace des portraits (on peut aimer bien entendu mais je préfère pour ma part quand c'est un peu moins net), c'est le poème qui est intercalé à divers endroits du livre. 
Un poème qui apporte une sorte de latitude au lecteur, libre de ses interprétations et qui permet de desserrer la tresse. 


Un livre très présent sur la blogosphère. Pour lire le billet (qui dénote avec l'enthousiasme général) de Delphine-Olympe, c'est par ici. Je dois dire que je partage en grande partie ses réserves...

jeudi 27 juillet 2017

Née contente à Oraibi de Bérengère Cournut

C'est parce qu'elle a ri aux éclats face au soleil levant lorsqu'elle lui fut présentée, vingt jours après sa naissance, qu'on l'a appelée Tayatitaawa. Celle-qui-salue-le-Soleil-en-riant est une indienne Hopi. Née à Oraibi il y a environ un siècle, elle appartient au joyeux clan du Papillon. Sur les plateaux arides de l'Arizona, le labeur est rude. Bien des efforts sont nécessaires pour cultiver les différentes variétés de maïs, base principale de l'alimentation. Les travaux agricoles qui rythment l'année sont précédés de longues périodes rituelles préparées au sein des kivas. Le père de Tayatitaawa, originaire du clan de l'Ours est particulièrement chargé de l'une des cérémonies qui a lieu au cœur de l'hiver. Elle requiert calme et gravité et s'accorde à son caractère taiseux et austère. Bien qu'elle n'y ait pas été initiée et qu'elle n'en ait pas la responsabilité, Tayatitaawa, par respect et amour de son père, s'évertue elle-aussi, durant cette période à adopter une attitude calme et grave.
Vous l'aurez compris, avec Née contente à Oraibi, Bérangère Cournut nous propose de découvrir la culture et les croyances des Hopis. Elle le fait avec une écriture douce et respectueuse. Ce très beau texte dont on devine tout le travail de documentation sans que cela ne soit pesant n'oublie pas de ménager une histoire intime. Au sein du clan, avec ses rites et ses croyances, c'est bien l'histoire de Tayatitaawa que nous suivons. Une alternance réussie entre des thèmes universels et un itinéraire personnel, entre la communauté et l'individu qui fait de cet ouvrage, un texte talentueux. 
Un très beau "cahier de photographies" prises vers 1900 complète l'ouvrage.


lundi 24 juillet 2017

Le tour du monde du roi Zibeline de Jean-Christophe Rufin

Ah, le beau roman que voilà ! Récit d'aventures, roman au substrat historique, roman initiatique et choral, histoire d'amour, c'est tout ça que Jean-Christophe Rufin nous propose en suivant la circumnavigation du roi Zibeline qui n'est autre que le comte Auguste Benjowski. Difficile de résumer le parcours haut en couleurs de ce célèbre aventurier du XVIIIème siècle dont les mémoires ont servi de base au travail de l'auteur. Il part d'un domaine de Hongrie, guerroie en Europe centrale, s'enlise dans l'exil aux confins de la Sibérie, plus précisément au Kamtchatka, rencontre la fille du gouverneur, Aphanasie (quel prénom !),  pour se poursuivre à la faveur d'une évasion risquée par un périple maritime dans le Pacifique Nord (après Béring mais avant La Pérouse) et l'Océan indien. Fort de nouvelles connaissances géographiques et cartographiques, il tente de négocier ses précieuses découvertes auprès de la France. L'époque donne alors la part belle aux explorateurs afin d'ouvrir de nouvelles voies commerciales dans une logique déjà bien installée de concurrence entre les puissances. Notre aventurier obtient finalement assez laborieusement (on se méfie de ses ambitions) la possibilité de s'établir à Madagascar et y fonde un royaume sur les principes éclairés de la philosophie des Lumières. C'est évidemment la version romancée que nous propose Jean-Christophe Rufin, présentant son personnage sous un jour favorable, l'Histoire ayant retenu, quant à elle, une vision plus controversée. 
En plus du palpitant récit d'aventures, j'ai beaucoup aimé la symbiose entre l'écriture et le propos. En effet, l'auteur qui fait parler tour à tour ses personnages, Auguste et Aphanasie, tous deux imprégnés des idées des philosophes a réussi à restituer le phrasé et l'esprit d'une époque. Mieux encore, il parvient à nous proposer une variante masculine et une variante féminine. Mention spéciale d'ailleurs pour cette dernière, dont l'écriture tout en finesse psychologique permet l'expression d'une vision somme toute moderne de l'amour et du couple. Aphanasie entend être la compagne, l'aimée, qui prend part aux décisions mais jamais n'aliène la liberté de l'autre. Le rôle rassurant et conventionnel de l'épouse ne l'intéresse guère s'il doit s'exercer au détriment de l'équilibre de cette relation. Je ne sais si les femmes du XVIIIème siècle pouvaient réellement se permettre ce genre de libertés mais il est cependant intéressant d'imaginer leurs espoirs et ambitions. A chacun ses conquêtes...

samedi 22 juillet 2017

J'enquête de Joël Egloff

Il n'a rien du privé qui remonte son col de pardessus, le chapeau enfoncé sur la tête afin de ne pas être vu (je pourrais ajouter, la clope au coin du bec, mais c'est bon, je pense qu'on aura compris à quel cliché je veux en venir). Non, rien de tout cela. Il a froid aux mains et aux oreilles car il a oublié gants et bonnet dans le train, il a mal aux pieds car, en deux phrases, la vendeuse l'a persuadé d'acheter une paire de bottines qui ne lui allait pourtant pas. Il est distrait et faible, du genre à s'excuser de demander pardon. Difficile dans ces conditions de réussir sa reconversion en détective et de mener une enquête qui plus est, insolite, découvrir qui a bien pu voler, dans la crèche de cette petite ville provinciale, la statue représentant l'Enfant Jésus.
Pourtant, en apprenti détective, il s'applique, prend des notes dans son carnet, les relit le soir, pose discrètement ses questions tout en s’obstinant sur une petite bouloche de laine, son unique indice. Il s'applique jusqu'à l'absurde car c'est bien vers ce ressort littéraire et non vers une véritable enquête policière que nous conduit l'auteur. 
Son personnage, dont on ne saura jamais le nom, attendrit tout autant qu'il agace. On le sent juste terriblement humain. Il a peur de contrarier, de faire de la peine, de gêner (ça peut parler ce genre de situations...), il est rattrapé par ses préoccupations domestiques et conjugales (même chose..), il se rassure par quelques petites réussites, feignant d'oublier la liste de ses déconvenues. 
Du compromis entre une part réaliste, j'ai presque envie de dire hyper-réaliste  qui se satisfait de  projets modestes (se trouver un restaurant, une paire de chaussures adaptée à la neige) et une part fictionnée voire fantasmée (privé, enquête, détective...), Joël Egloff fait naître un absurde tout juste décalé et c'est justement ce léger décalage que j'ai apprécié car il n'est pas si facile que cela à obtenir. Il en découle une forme de familiarité dont on peut cependant se distancier pour mieux en sourire.